Philosophie (im)personnelle

14 juillet 2021Par Anna Taï Morasso0

… en réponse au titre de l’ouvrage « Développement (im)personnel : le succès d’une imposture » de Julia de Funès, docteure en philosophie.

Avant d’aller plus loin, vous pouvez, si vous le souhaitez, écouter cette émission sur laquelle je suis tombée, et qui fait l’objet de ma réflexion : https://www.franceinter.fr/emissions/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-17-septembre-2019

Vous l’avez déjà ressenti ce sentiment d’injustice, quand on vous dépeint profiteur, ignorant, imposteur, illégitime dans votre métier ? C’est ce qui vient de m’arriver en écoutant Madame Julia de Funès. Notez que ce que je juge juste ou injuste m’appartient (et chers amis et amies du coaching et des coachs, n’hésitez pas à réagir à mes propos, cet espace est fait pour). Or donc, cette dame philosophe transmet un message clair. Pour elle, les coachs ne sont pas utiles, et pire, ils agissent en rendant leurs clients dépendants de leurs accompagnements pour se remplir les poches. De la manipulation en quelque sorte (petit rappel de ce qu’est la manipulation : amener autrui à tel ou tel comportement afin de servir ses propres intérêts).

C’est compliqué les replays. Parce qu’au hasard d’une balade sur la toile, je me retrouve à écouter cette interview quasi 2 ans après sa diffusion en direct, et moi qui suis plutôt encline à la discussion, me voilà comme seule sur le quai d’une gare où il n’y a plus personne car le train est passé il y a bien longtemps. Bon, qu’à cela ne tienne, à philosophe, philosophe et demie, je me dis qu’il faut de tout pour faire un monde, et que je vais tenter de questionner, de réfléchir sur les arguments de cet acharnement qui vise le métier que j’exerce.

Le 17 septembre 2019, le téléphone a donc sonné à France Inter. Le ton est donné par une animatrice un peu rapide en besogne à mon goût. Elle introduit sa séquence en citant une série de livres aux titres accrocheurs, des ouvrages de développement personnel, et précise qu’ils représentent 32 % des ventes de livres en France. Et de poursuivre : « ces livres on les trouve partout, (…) des livres qui donneraient le mode d’emploi pour aller mieux quand on va mal, comme on trouve partout maintenant des coachs, un métier en plein essor, coach d’entreprise, coach en nutrition, coach en esthétique, coach en relooking ».

Il faut reconnaître que si le chiffre est vrai, un tiers des ventes de livres tout de même, cela fait réfléchir et montre que le public est en recherche de réponses et que cela fait vendre. Mais peut-on assimiler ces 32 % au nombre de coachs en France (on pourrait se dire que c’est un problème) ? Le BPI France en dénombre en 2018 entre 4.000 et 20.000, fourchette assez floue car il reconnaît son aspect multiforme. Même si la profession tente d’en cadrer la pratique par des systèmes d’accréditation (un exemple de processus ici : https://www.sfcoach.org/praticien), et par le respect d’un code de déontologie (un exemple d’attendus : https://www.federationcoachingdevie.org/nos-exigences), la majorité des coachs échappe aux radars car la profession est récente – elle n’apparaît qu’à la fin des années 80 en France sous la seule forme du coaching sportif – et donc nous le disions, la profession est multiforme. Ils n’ont pas eu le temps de citer le coach scolaire, le coach parental, le coach en rangement, le coach en déco, le coach pour organiser vos voyages, le coach pour la voix, le coach pour comédien, le coach pour chaque besoin de l’humain ! Alors certes il existe des coachs dans beaucoup de domaines (trop ?). Mais supposons que nous soyons 20.000 coachs en France, nous sommes une goutte d’eau dans l’océan des 30 millions d’actifs que compte le territoire. Oui c’est vrai, le public est un peu perdu et ne cherche pas à comprendre parce qu’il ne sait pas qu’il y a quelque chose à comprendre, et que franchement, il a d’autres chats à fouetter. Pourtant quand je dis que je suis coach, je dois souvent expliquer en quoi cela consiste et donner le cadre de mes interventions. L’on pourrait penser que la profession gagnerait en crédibilité auprès du public si elle se regroupait en une fédération unique, mais il faut du temps pour tout et une volonté politique.

Et puis surtout et de façon urgente, il convient de faire la distinction entre coaching et conseil. Parce que nom de Zeus, un coach, par sa déontologie professionnelle, ne donne pas de conseil. Il ne dit jamais « vous devez faire du sport, vous allez faire comme ci ou comme ça pour que ça marche, vous allez faire comme je vous dis de faire et vous irez mieux » (contrairement à certaine philosophe…). Et vous en conviendrez, il est superflu d’avoir rédigé une thèse pour deviner que la plupart des coachs cités dans cet article ne répondent pas à cette déontologie. Ils seraient plutôt les deux pieds dans le conseil, et souvent même dans une posture directive selon les domaines. Il suffit pour comprendre de mettre le nez dans les ouvrages de développement personnel faisant partie des fameux 32 % de ventes en librairie. J’invoque plusieurs explications générales à cet amalgame coach/conseil. Tout d’abord, consulter un « coach » éveille une image aux contours flous de modernité et de dynamisme, de prise en main de soi et de son parcours professionnel, l’idée évoque la réussite en entreprise et une espèce de toute-puissance économique à l’anglo-saxonne. Le terme est donc repris à vau-l’eau par des spécialistes du conseil en tous genres puisqu’aucune réglementation ne vient contrecarrer cette opportunité marketing. En quelque sorte, l’enseigne « coach en nutrition » serait plus porteuse que « conseil en nutrition ». Parce qu’il y a aussi qu’il ne faut pas donner l’impression à son futur client qu’il aura à suivre des conseils comme avec papa et maman ! D’où la copieuse reprise par la plupart des coachs en développement personnel du message subliminal bien connu des publicitaires, qui optent pour le « conseil » déguisé en « prenez-vous en main »… Enfin il existe un autre point de confusion et non des moindres dans toutes ces professions, ils ont en commun ce schéma : faire entrer son client dans l’action et qu’il obtienne des résultats visibles. Encore une fois, les méthodes diffèrent, le coaching n’est ni du conseil, ni de la manipulation (il faudrait que je rédige un autre article tiens…).

Faire du sport pour mieux réfléchir, c’est le conseil de Madame de Funès. Je suis ravie pour elle si telle est sa solution pour mieux faire parler son cerveau. Mais au fait, elle ne le précise pas, quel est son sport de prédilection, la boxe ? Et bon sang (oui je m’emporte un peu…) comment sait-elle mieux que les autres et pour les autres ? A l’écouter, sa solution de défouler son corps vaut pour elle et vaut pour tous, ce qui marche pour elle marche pour tout le monde. Je ne sais pas où elle est allée pêcher cet axiome. Dans son intervention, elle conseille également d’aller voir un psychothérapeute plutôt qu’un coach (va dire ça à tous les gens qui veulent juste changer de boulot et qui après leur séance de boxe tournent encore en rond avec leurs questions). Elle ajoute par ailleurs que ceux qui chercheraient un coach pour s’en sortir seraient des individualistes, avec le sous-entendu que si chacun agissait de la sorte, nous foncerions dans le mur. Si ce scénario catastrophiste est discutable dans sa mise en oeuvre, moi qui suis une adepte de la nuance, cette sémantique a de quoi me heurter. Car je la perçois comme une pensée dogmatique selon laquelle il faudrait se méfier de l’individualisme à tout prix. Alors je prends un peu de recul et je me demande, comme nos bons vieux philosophes depuis l’antiquité : est-ce que le bonheur de chacun ne serait-il pas la solution pour atteindre le bonheur collectif, et vice versa dans un cycle vertueux ? Du coup, la société n’aurait-elle pas failli à nous satisfaire collectivement au point de nous pousser à trouver nos solutions… individuelles ? Quelles seraient les solutions pour qu’en tant qu’individus, nous soyons davantage disposés à nous entraider ? Quel est le meilleur philosophe pour nous l’apprendre ?

Mais au fait… n’aurait-elle pas été cataloguée dans les 32 % ?

 

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